La vie intérieure se nourrit de touches brèves, mais répétées.
Ce sont des actes purement intérieurs de silence,
où simultanément l'âme se jette dans la mer divine
comme une onde qui aspire à la parcourir
à l'infini, sans jamais n'être rien autre que cette mer.
La brièveté de cet acte est décrite chez plusieurs mystiques.
Ainsi le Nuage d'inconnaissance :
"Un rien de temps, aussi petit soit-il, et le ciel peut être gagné et perdu....
Aussi donne toute ton attention à cette oeuvre, et à sa merveilleuse manière,
intérieurement, dans ton âme.
Car pourvu qu'elle soit bien conçue,
ce n'est qu'un brusque mouvement,
et comme inattendu,
qui s'élance vivement vers Dieu,
de même qu'une étincelle du charbon.
Et merveilleux est-il de compter les mouvements qui peuvent,
en une heure,
se faire dans une âme qui a été disposée à ce travail.
Et pourtant il suffit d'un seul mouvement entre tous ceux-là,
pour qu'elle ait,
soudain et complètement,
oublié toutes choses créées?"
(Nuage, chapitre IV)
Et Catherine de Gênes :
"L'amour qui est Dieu même,
instantanément et sans intermédiaire
découvre sa fin et son repos suprême."
(Vie de C. de Gênes chap. III)
L'ermite Jeanne de Cambry décrit la jouissance de Dieu
jusque dans les œuvres extérieures :
"Or ceci se fait par une nudité et un délaissement
de toutes ses propres opérations et recherches trop actives...
[L'âme] vient à s'écouler
jusqu'au plus profond abîme de son néant.
Et lors au moment que l'âme et ses puissances sont anéanties,
par cette profonde humilité,
cet esprit, partie suprême de l'âme,
vient à s'envoler plus vite
qu'un éclair,
ou plus que le rayon du soleil,
jetant sa brillante lumière en quelque lieu
lorsque les obstacles en sont ôtés.
Ainsi donc cet esprit vient à s'envoler à l'union de son Dieu,
retournant à lui comme à son centre.
Car Dieu est vraiment le centre de notre âme..."
(Traité de la ruine de l'âme, livre III, chap. XVIII, éd. de 1645)
Enfin, Bernardino de Laredo :
"Surmontant le créé et sortant de lui,
l'âme va à Dieu par une élévation d'esprit subite et instantanée ;
elle ne demeure en chemin pas plus longtemps
que la paupière de l’œil ne prend à cligner,
à la façon d'un rayon du soleil,
lequel à l'instant qu'il naît à l'orient
arrive e, occident.
Ainsi doit faire l'âme qui en un instant
élève l'esprit par la voie de l’aspiration,
laquelle est plus légère et momentanée
que le rayon même du soleil."
(Ascension du mont Sion, traduit par D. Tronc, Expériences mystiques, vol. II, p. 252)
Ainsi l'âme plonge en ce geste,
à la fois actif et passif.
Puis elle se laisse emporter par son écho,
comme le regard, qui suit la ride sur une eau calme,
va se perdre là où